COVID et littérature
Un électrochoc méchant, jubilatoire et si bien écrit : ce texte de l’écrivain Régis Jauffret à la manière de LOUIS-FERDINAND CELINE (qui fut médecin avant d’être l’écrivain que l’on sait), est paru dans le journal l’Obs.
Transmis par Martine.

« Dans l’os, l’humanité…Pas besoin de regarder, de calculer la catastrophe…Tous à se rouler…Dans la trouille, leur crottin, la terreur de la crève…Et la lâcheté qui pointe son nez…Les infirmières qu’on chie des immeubles parce qu’elles ont touché la viande vérolée…Et ces planqués qui applaudissent chaque soir à la fenêtre…Que les soignants, les médiqueux, les culs-terreux des basses-fosses qui récurent les gogues des hostos…Qu’ils partent à leur place au casse-pipe…Les balconneux, ils veulent pas mourir…Restent confinés comme des cafards dans leur nid et puis à huit heures ils se pointent au balcon comme des coucous suisses…Coucou ! Coucou ! (…)
Ah oui, bravo les médiqueux ! Ceux qui coûtaient trop cher… Fallait rentabiliser… Les mecs on leur enlevait la prostate pour faire rentrer l’argent dans la caisse… Mais la Totale, c’était encore plus cher… Alors Monsieur viens ici que je te coupe la chimère…Toi, Madame, rapplique que je te vide la marmotière… Dans l’hôpital public on courait après les opérations tiroir-caisse, et foin des maladies qui traînassent, hémorragies de liasses qui gonflent la dette… La chair à canon des opérés ambulatoires pour renflouer le déficit … Voulaient pas payer… Voulaient plus rien donner…Pas ça…Rien…S’en foutaient bien que les pauvres crèvent du cancer, de l’AVC, du cœur foutu…C’est pas la peste, pas la blenno, pas le sida, des maladies qu’on peut attraper en les approchant, en s’y frottant, en les mettant profond jusqu’aux roubignolles…Alors qu’ils crèvent ! Deux vitesses la médecine… Trois… Les pauvres, les riches et les classés au palmarès Forbes qui vont se faire opérer à New-York, Genève, Rio, London, Barcelona…
Ah oui, les Arabes, les Noirs, les Peaux-Rouges… Les migrants ! Les  migrants ! Fallait pas les soigner…Qu’ils restent à trépasser dans les camps… Ils coûtaient déjà assez cher… Ah non, ils coûtaient déjà assez cher… Qu’on leur balançait des balles en caoutchouc, des gaz, qu’on leur dépêchait même des garçons de bain en tenue de combat pour leur masser la gueule à la matraque…(…)
Et voilà qu’aujourd’hui on les soigne fissa, gratos, qu’on leur distribue même de l’alcool à brûler pour qu’ils fassent flamber leurs menottes pour tuer la bestiole… Vous comprenez, on voudrait pas qu’ils nous contaminent… Des fois que le virus s’envole de leur campement comme une mite et vienne nous piquer la narine… Notre vie de merde on y tient… Pas tant que ça peut-être, mais un peu beaucoup, à la folie quand même… Trop peur de passer de l’autre côté… La culbute… Le plongeon… Aller danser en enfer le rigodon… Non mais regardez-les mouiller leur froc les voteurs à Macaron…Maintenant, ces pingres ils veulent qu’on construise des hôpitaux… La peur du caveau ! Ils rêvent de budgets gros comme des gâteaux, des maisons, des tours jumelles, 11-Septembre et compagnie… Rêvent cliniques, vaccins, médicaments…  Et le Raoult à Marseille qui leur promet qu’ils crèveront pas demain s’il met à cuire au soleil leur cul pourri… Vous verrez comme je vous l’arracherai, moi, le virus ! Il vous sortira par la gueule comme un rat et mes acolytes l’éclateront à coup de batte ! Ensuite ils vous balanceront dans le Vieux-Port à mariner dans l’huile de bateau ! (…)
Vous parlez de l’après ? L’après c’est pour les survivants… Celui qu’en parle est pas sûr d’y être… Sera peut-être crevé d’ici là… L’après vous croyez ? Pourquoi l’après serait pas comme l’avant ? ça leur aura musclé le cervelet d’avoir vu trépasser papi-mami par internet ? D’avoir sali des wagons de linge de leur trouille ? Va te faire foutre… Hier, jadis, demain, galère…Elle vogue… A vogué… Voguera… Applaudissez… Allez… Applaudissez ! Si ça peut vous soulager la culpabilité… Et quand au virus on lui aura tordu le cou vous trouverez que c’était cher payé… Ils étaient trop nombreux, les saligauds de soigneurs, soignants, anesthésistes, oxygénateurs et intubateurs de mes deux… Trop de blouses, trop de lits… Des salaires gras comme un moine, des primes comme le nirvana… Une ruine, je vous dis, ces médiqueux… Et ces respirateurs qui ont coûté une blinde… Qui servent plus à rien… Qu’on sait plus où les mettre…  Et les masques… Les masques ! Les masques, putain ! Tous ces masques, ça en a coûté de l’artiche… Tout ça pour quoi foutre ? Virus, y a plus… Fini, il est… Mortibus… Tous ces masques même pas bons pour carnaval… On a guéri… A bien réfléchir on aurait préféré encore crever. (…) »

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