Reillane, une page d'histoire oubliée
HOMMAGE:
Annette Becker, HISTORIENNE
RETRACE dans son livre les itinéraires de 54 juifs femmes, hommes et enfants,raflés au couvent de REILLANNE avant d'être convoyés vers DRANCY ET AUSCHWITZ BIRKENAU :
UNE PLAQUE
COMMÉMORIELLE RÉALISÉE PAR LE LYCÉE MARTIN-BRET DE MANOSQUE DONNERA ÉCHO ET
TRAME À UN ÉPISODE TROP LONGTEMPS OCCULTÉ.
Changements d’échelle, récits de
territoire : les chercheurs passent par la micro-histoire pour mieux appréhender
une époque.
Habitante d’Oppedette pendant les vacances d’été, Annette Becker,
auteure avec StéphaneAudouin-Rouzeau d’ouvrages à propos des violences de la
Première Guerre Mondiale, aime revenir entre Apt et Forcalquier sur la place qui
abrite le marché dominical de Reillane.
En face du Monument qui
recense ceux qui « moururent pour la Patrie » - quarante-trois en 14-18, six en
39-45 - elle s’interroge : aucune inscription n’est accessible à propos de la
rafle et de la déportation qui emporta loin du village 54 juifs, le 12 mai 1944.
Les blessures de la mémoire, l’indifférence et les refoulements ont imposé leurs
chapes de plomb. Les barbelés de la photographie de cet article empêchent
d’approcher la partie ancienne d’une hôtellerie de luxe qui s’est substituée aux
séjours d’une colonie de vacances des années 1950, autrefois propriété
de la Ville de Paris.
En 1930, le couvent de Notre-Dame des Près était
tellement humide et délabré que les religieuses le quittèrent. Cet espace
insalubre fut réquisitionné le 5 novembre 1942 par le Secrétaire d' Etat au Travail de Vichy.
Le consul mexicain Gilberto Bosqués avait été
extradé de Marseille, les châteaux de la Reynarde et Montgrand n’accueillaient
plus les réfugiés espagnols.
Après avoir été pendant l’été 1942 le tragique
point de départ des juifs vers l’Allemagne, le camp des Milles devient dépôt de
munitions.
Pour les rescapés des internements de Gurs ou des Milles, pour des
réfugiés qui n’avaient trouvé ni trains ni bateaux pour quitter Marseille, une galaxie de micro-centres fut improvisée loin des centres
urbains, par exemple aux Mées ou bien à Oraison : le couvent de Reillanne fut
baptisé « centre de travail pour des étrangers non dangereux ». Palmieri,
gestapiste marseillais Reillane ouvre le 17 novembre : « rien n’avait été
préparé ni pour manger, ni pour dormir ». Les 43 arrivants sont allemands,
autrichiens, espagnols ou roumains ; pour la plupart ils sont juifs. Ils dorment
en réfectoire s’ils sont célibataires, les familles occupent les cellules des
religieuses.
En 1943 on dénombre plus de 90 internés, souvent des vieillards et des enfants abîmés par toutes sortes de
privations. Leurs sous-vies sont poignantes : jusqu’en août 1944, « l’humidité,
la faim, le froid, écrit Annette Becker, distillent désespoir et maladies ».
Fruit d’un travail effectué aux Archives Départementales des
Alpes-de-Haute-Provence, la troisième partie du livre d ’Annette Becker donne un maximum de détails à propos des internés de
Reillanne, restitue leur origine et leurs derniers jours. Les autres chapitres sont consacrés à Otto Freundlich , un peintre que Varian Fry voulait sauver ainsi qu’au grand-oncle de l’historienne, assassiné
à Auschwitz.
La rafle du 12 mai fut conduite par Charles Palmieri, condamné à
mort et exécuté au fort d e Malmousque en 1 9 4 6. Dévoué à Simon
Sabiani dès 1933, ensuite à Doriot en 1936, Palmieri fut un proche des truands marseillais. Avec la couverture d'un bureau d’achats de la rue Paradis, ses sbires font du renseignement pour les Allemands,
traquent les résistants et les juifs; des pillages d’appartements et des
extorsions de fonds complètent leurs arrestations. Pour le transport de
Reillanne jusqu’à Marseille, Palmieri emmène une douzaine d’hommes,
réquisitionne trois autocars à Banon et Forcalquier. Il débute à 19 heures 45. «
Des grands cris, des coups de feu, affolement général... Tout le monde est
conduit dans la cour... Les juifs listés sont triés et mis à part, 54 hommes,
femmes et enfants sont désignés. À 22 h 50, tout est fini ».
Deux internés ont
survécu. Vilma Singer fut autrichienne, internée à Rivesaltes et Gurs avant
Drancy et un numéro de Birkenau tatoué au bras. En 1947, on trouve sa trace à
New York.
Le second rescapé est le Docteur Sigmund Braustein qui n’a pas
succombé après les marches de la mort parties d’Auschwitz.
Pour
une cérémonie qui se déroulera dimanche 12 mai 2024,
80e anniversaire de la
rafle, l’adjointe à la culture de Reillanne, Isabelle Grenut a financé l’achat
des matériaux, le bétonnage d’un socle et d’un panneau de platine qui seront
installés près du couvent, sur un chemin communal.
Dans le cadre d’un
remarquable travail interdisciplinaire « Mémoire et Résistance »
conduit par l’enseignant d’histoire David Soulard, on
dévoilera une plaque mémorielle de 60 x 120 cm façonnée et rédigée par les
élèves du lycée Louis Martin-Bret de Manosque.
ALAIN PAIRE
« Des juifs trahis
par leur France » par Annette Becker, éditions Gallimard
Annette Becker Un
fragment de triptyque pour les déportés de Reillanne
Après-guerre, des bâtiments
ont augmenté la surface du Couvent de Reillanne, aujourd’hui devenu hôtellerie
de luxe.
PHOTO PHILIPPE ROUZAUD HISTOIRE Week-e XII du samedi 9 au dimanche 10
mars 2024
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