Réseaux sociaux

Allons nous devenir des fantômes numériques ?

Comment déconfiner nos esprits et ne pas
subir un dédoublement de nos vies ?

Chers adhérents,
Chers sympathisants,

Vous trouverez plus bas un bref témoignage associatif, mais d'abord laissons la parole à la jeunesse dans le débat – cent fois recommencé – du bien et du mal de ce nouveau monde numérique.

Elle s'appelle Salomé, cultivée, percutante, environ 24 ans. Elle est la voix du media associatif Le Vent se lève. Ancrage culturel à gauche et altermondialiste, sans parti, dans la ligne d'Attac et du Monde diplomatique. Sa dernière vidéo, ardue à suivre car très documentée, reprend tous les points de l'alerte discutée dans la réunion sur le CETA l'année dernière à Simiane. Avec l'enseignement récent de la pandémie, et ce devoir qui est notre de regarder en face cette application "Stop covid". Osons le dire, nous sommes invités à nous instruire énergiquement sur les rouages de la mondialisation au delà de cette vidéo. Pas d'affirmation prophétique et aucune réponse "clés en mains", mais de graves questions sur l'héritage du Conseil national de la Résistance.

Elle s'appelle Mary (ou Marie), ou Joe, un peu plus de vingt ans, zadiste et nomade dans sa Citroën C15. Elle vit avec 80 ou 100 euros par mois. Par passion de la liberté et confiance dans l'humanité, fruits d'une famille aimante. Dans sa chaîne Piraterie à roulette, elle nous conte ses racines et ses voyages. Elle nous offre un regard intense sur nos cités, puis son immersion dans cette "école anarchiste" qu'est la ZAD de ND des Landes. Quelques années en une heure, est-ce si long ? Lui donnerez vous cette heure d'attention ? C'est désarmant, doux, beau, acrobatique, parfois abrupt, tragique, toujours exempt de romantisme. La syntaxe est bancale mais le ton juste, sans exibition de témérité. Exactement l'inverse de Koh-Lanta, l'île des héros (??? :~( !!!). Son premier media est le regard, puis le croquis et l'écrit. En ce sens, tous les outils numériques lui sont soumis.

Elles ne se connaissent sans doute pas. Mais elles sont soeurs de lutte contre le fatalisme, la bêtise et le repli sur soi. Elles ne se facilitent pas leur avenir professionnel, et parions qu'elles entendront« Ah c'est vous la révolutionnaire... ? Ah c'est vous la routarde... ? ». Aujourd'hui, elles sont présentes dans l'espace numérique avec une maîtrise et un talent à couper le souffle. Elles prouvent que le militantisme n'est pas qu'agitation et polémique. Elles prouvent qu'une inspiration, puis une discipline intérieure peuvent être plus fortes que le narcissisme de Facebook, plus fortes que la frénésie du clic marchand.

Je les admire pour leurs visages – au sens de Levinas – leur inspiration, leur travail d'enfantement d'une pensée et d'une parole. Et bien sûr leur maîtrise de l'audiovisuel. Une voix me dit que ce n'est pas la jeunesse, mais que quelque part ce sont mes aînées. Parce que d'autres vibrent en elles ; je sens Simone de Beauvoir, et avant Rosa Luxemburg, et même bien encore avant Jeanne d'Arc... jusqu'à Antigone.

Je vous invite à les regarder et les écouter. Leur présence démultipliée sur nos écrans est un visage civilisé plus dense que l'oppression industrielle et sournoise des GAFAM. Cette toute puissance que nous devons désamorcer, par une discipline intérieure et un esprit inventif dans notre expression sur le réseau.

A l'attention des plus patients de nos lecteurs, voilà lignes qui expliquent pourquoi j'en suis arrivé à cette conclusion.

Vivre à Simiane, notre belle association, fut récemment saisie d'un vigoureux débat sur la morsure des réseaux socionumériques dans nos identités, et plus généralement sur les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Nous les nommons alternativement "réseaux sociaux" ou "fléaux sociaux". J'ai été indisposé par la confrontation des arguments, et je me sens moi même intimement séduit et oppressé par ces nouveaux acteurs technologiques. Alors j'ai demandé à notre présidente Martine Cazin la faveur, qui me fut accordée, d'un petit témoignage de mon expérience de secrétaire.
Rappelons que, dans Vivre à Simiane, nous avons volontairement restreint notre communication, c'est à dire que nous n'utilisons que les fonctions les plus élémentaires de notre espace Google.
Pour une raison simple : la fidélité dans l'esprit à l'idéal associatif, qui n'est pas de paraître, ni de vendre. Et une gestation des publications que nous voulons garder au plus proche de l'inspiration de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Commençons par une petite page d'histore associative de notre voisin le Var. Il est né il y a une trentaine d'année un bulletin pour soutenir une liste municipale, qui est devenu ensuite entièrement associatif sous le titre Proposer Participer. Son directeur, bénévole comme toute la rédaction, fut Albert Plauchud (des tanneries Plauchud et Plauchud & Vaillant à Barjols). La tannerie ayant subi de plein fouet la conversion de l'industrie de la chaussure aux matériaux synthétiques (années 70), monsieur Plauchud eut la juste intuition de distribuer tous ses biens professionnels avant la banqueroute. Puis il s'est investi corps et âme dans la vie associative. Proposer Participer a vibré des batailles d'idées entre les mouvements altermondialistes et les opinions respectables mais très conservatrices d'Albert Plauchud. J'ai découvert dans cette aventure de l'esprit la richesse incarnée de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Et surtout une méthode, l'architecture élémentaire de cette construction éphémère qu'est un journal. Avec cet ordre immuable : gestation individuelle des thèmes, conférence de rédaction, écriture, envoi au directeur de la publication, secrétariat de rédaction puis réalisation par une petite maison d'édition. Et toujours avec un symbole, celui de la feuille blanche, pour poser ses idées ou accueillir avec probité celles de ses contradicteurs.

Puis est venue l'ère des blogs et la déflagration Facebook. Demander quelques euros pour s'abonner ou quelques heures pour rédiger un article fut alors une cause perdue, proprement pathétique : "Ah ! Encore toi et ton Plauchud...". Si j'insistais, on me signifiait que nous étions des héros associatifs déchus. À quoi bon s'acharner à ce grisatre bulletin pour quelques centaines de lecteurs quand on peut instantanément – et gratuitement – s'auto éditer en mode multimedia pour des milliers (ou plus) de contacts ? Mon ami Albert eut la même noble démarche que pour la tannerie. Il n'y eut point d'agonie. Nous avons procédé à une dissolution statutaire et, fait remarquable, monsieur Plauchud a proposé une affectation des actifs à un mouvement, Agir pour la ruralité, aux antipodes de ses idées politiques.

Au terme de cette longue aventure éditoriale, ma conclusion fut que la plus poussiéreuse vétusté nétait pas du coté de Proposer Participer. Parce que j'y ai découvert un lien de pensée né de Socrate à Platon, conforté par les lois fondatrices de 1881, 1901 et 1905 (séparation des Eglises et de l'Etat). Et un fil conducteur pour progresser de soi aux autres, gravir cette échelle de corde intérieure. En partant d'où, et pour aller où ? De la réaction primaire et biliaire à l'éthique.
Le temps de gestation d'une édition libre et associative est exigeant. C'est une ferme invitation à un rendez vous avec soi même devant une feuille blanche, puis le miroir humain de ses lecteurs. Cela ne garantit pas une bonne architecture du temps ni de son humanité. Cette garantie n'existe ni dans le monde, ni dans l'Histoire. Mais ces étapes forment notre "établi". Le philosophe Alain enseignait : "l'humeur est physiologique, le caractère est psychologique, le tempérament est sociologique, la personnalité est morale". C'est cette sorte de boussole que j'ai proposé pour notre communication à Vivre à Simiane.

Comme la roue – numérique – a tourné ! Les GAFAM ne sont pas des créations diaboliques, mais un point au moins peut être qualifié d'abominable : leur opportunisme financier sans limite et la marchandisation de l'humain, travailleurs et usagers.

Et ils sont partout. Abonné de longue date au journal Le Monde, j'ai souffert et ragé en découvrant qu'un hyperlien sur un article de tests produits – accus pour remplacer les piles jetables – renvoie directement sur la page commerciale Amazon, zappant le constructeur. Avant de constater une anomalie éditoriale plus grave encore, sans lien avec la qualité des journalistes : l'édition Le Monde Afrique est financée par la Fondation Bill et Melinda Gates. Quelle indigence, quelle tristesse !

Les Etats se réveillent tardivement et en ordre dispersé. Comme ils semblent chétifs face à ces empires ! Concernant l'économie, est-t'il permis, pour un nouvel artisan, un commerçant, une TPE, d'ignorer ce nouveau monde ? Assurément pas. La compétence de vente en ligne, comme la communication, sont aussi nécessaires que la compétence de gestion.

Comme beaucoup je me sens déstabilisé et dépassé par ces nouveaux acteurs transnationaux. Grande est la tentation de les rejeter en masse. Mais ce serait faire trop d'honneur à l'adversaire, bruyant et envahissant. Le numérique est un espace public, où des talents et des libertés émergent. Les blogs sont moins prisés, c'est regrettable. En revanche You Tube abrite quelques pépites d'humanité. J'ai cité Salomé et Marie ; bien sûr il en est d'autres.

Ma conclusion est que le face à face des arguments entre contester ou plaider pour une culpabilité raisonnée dans la pratique de ces commerces est insuffisant. Cela nous fragilise et les consolide dans leur démesure.

La réponse est une discipline intérieure, pour rester attentifs aux pépites d'humanité qui s'y expriment. Et surtout cultiver la patience – qui n'est pas l'abstinence totale – devant la tentation du clic marchand. En privilégiant les professionnels qui ont fait l'effort de mettre en place leur propre vitrine en ligne, ou en mode coopératif.

J'espère un débat de vive voix pour confronter nos appréhensions et nos idées. Merci de votre attention. Nos maigres compétences numériques nous ont obligé à une marche forcée. Nous apprenons lentement la technique et peinons à mesurer les ramifications de ce nouveau monde.
Vivement une rencontre thématique avec des vrais gens, des vrais visages, des chocs bénéfiques des paroles, une construction de la dignité dans ce territoire accaparé par des empires financiers.



Merci de votre attention,

Gilles
Le 14 juin 2020



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