Disparition d'un écrivain : Milan Kundera


Milan Kundera (1929-2023) 


Le 11 juillet dernier s’est éteint à Paris un immense écrivain. Il était né à Brno, alors en Tchécoslovaquie, au cœur de cette Europe centrale qui produisit tant de génies avant de sombrer dans l’apocalypse en 1939.


Dire sèchement qu’il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages, qu’il a choisi l’exil d’Europe centrale vers la France, dont il a la nationalité depuis 1981, et que peu après il écrit directement en Français, c’est insuffisant.


Admirateur de Cervantès, mais aussi de Rabelais et des écrivains du XVIII° siècle (il a consacré une pièce de théâtre à Diderot) Kundera s’accommode mal d’un récit linéaire de sa vie et son oeuvre ; en toute modestie, j’ai choisi le procédé qu’il a employé dans une partie de son livre « l’art du roman » (1986) ; intitulée « 71 mots », il y flâne à travers concepts, opinions, idées… Quelques courtes évocations donc…


La musique : fils d’un musicologue et compositeur, il bénéficie d’une solide formation musicale à Prague, et aurait pu se destiner à une carrière de compositeur. Il a finalement choisi, après des études de cinéma, la littérature. Mais il a toujours gardé, y compris dans la composition de ses livres, un sens profond de la construction musicale. On peut partager ou non son opinion sur une certaine « modernité musicale », mais elle mérite profonde réflexion : « L’assommant primitivisme rythmique du rock : le battement du cœur est amplifié pour que l’homme n’oublie pas une seconde sa marche vers la mort » (in L’art du roman).


Le kitsch : pour simplifier, ce serait le mauvais goût, mais un mauvais goût élevé à la hauteur d’une prétention esthétique. Kundera en fait un de axes de son roman « l’insoutenable légèreté de l’être ». On pourrait dire, pour simplifier, que l’attitude kitsch est celle de celui qui adore ou pratique un art de pacotille… et d’en être fier ! 


Au cinéma : c’est surtout « l’insoutenable légèreté de l’être » qui sort en 1988, avec une distribution prestigieuse (Juliette Binoche, Daniel Day Lewis, Lena Olin…), Kundera appréciera peu cette adaptation qu’il juge laborieuse et peu dans l’esprit de son approche.


La traduction : écrites en tchèque, les premières traductions de ses œuvres en français lui ont déplu dès qu’il a maitrisé la langue en s’installant en France ; il découvre notamment un véritable délire métaphorique dans les versions françaises, et il s’est employé à les retraduire, indiquant que ces nouvelles traductions étaient à placer sur le même plan de qualité de langue que les originaux en tchèque ; à partir de 1995, il écrit directement en français.


Terminons avec une pointe d’ironie, Kundera la pratiquait avec la politesse du désespoir, et il fustigeait, suivant Rabelais qu’il admirait, les agélastes, « ceux qui sont privés du rire » .

Kundera donc arrive au paradis, ou en enfer, ou au purgatoire, peu importe, il arrive …« là bas », et pour l’accueillir, son ami Philip Roth ; celui-ci lui dit en riant : 

- « ouf, tu l’as échappé belle ! 

- Pourquoi ? rétorque Milan 

- Parce que si tu étais resté trop longtemps en bas, les Nobel auraient fini par t’avoir !

- T’inquiète Philip, çà risque pas, je n’étais pas « correct » pour eux, peu importe la littérature… 

- Ouais, tu dois avoir raison ; mais tu ne crois pas qu’on devrait « les » prévenir ?

- Les prévenir, qui ça ?

- Ismail (Kadaré), Salman (Rushdie) entre autres… s’ils ne se pressent pas de venir nous rejoindre, ils vont se faire avoir…

- En effet…

- Et tous les deux, pouffant de rire, se mettent à crier vers le vas : eh, oh, Salman, Ismail, dépêchez-vous… »


Donc, lisez, et relisez, découvrez et redécouvrez Milan Kundera, notamment son superbe dernier roman, « La Fête de l’insignifiance », si vrai sur notre triste époque. 



un article de Gilbert Elkaim

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